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L’UNION avec Aurélie Mulowa à propos de la représentations des personnes noires dans les médias

By: Théodore - 14 juin 2021 - 0

On a retrouvé Aurélie, première stagiaire de L’UNION (en team avec Rizlaine), pour lui demander de nous présenter son réseau Entreprenoires et nous parler de la représentativité de la personne noire dans les médias et la publicité.

 

 

Quelle représentativité de la communauté noire dans les médias et dans la pub ?

Je ne parlerai pas d’un manque de représentation, parce qu’on a toujours été représentés dans les médias. On l’est de plus en plus.

Cependant, pendant tout un temps, on voyait des personnes noires surtout dans certains secteurs. Par exemple, j’adore le rhum. On retrouve les noirs partout dans la communication autour du rhum. La question est de savoir comment ils sont représentés. Souvent des femmes, dans les champs de canne en Martinique, qui n’ont pas droit à la parole. Elles sont représentées, mais n’ont pas de pouvoir. On a aussi vu beaucoup de personnes noires dans les publicités de sensibilisation au Sida. Et plus récemment, un organisme en lien avec les formations professionnelles, illustrait les demandeurs d’emploi par une femme avec un foulard ou un homme noir…

 

 

Le corps noir a aussi été utilisé comme un repoussoir, un répulsif, comme ce qu’il ne faut pas faire. Exemple une publicité des années 60 où l’on voit des personnes noires qui se lavent et qui deviennent blanches ou une campagne plus récente de Nivea qui montrait un homme qui se débarrassait de sa tête avec barbe et afro, avec comme claim « Re-civilize yourself » insinuant que le fait d’avoir un afro n’était pas civilisé.

 

 

Personnellement, j’ai grandi avec des films où il n’y avait pas de noirs et j’ai appris à m’identifier à ça. Ce serait donc une erreur de dire « on va mettre des noirs pour qu’ils puissent s’identifier », on a appris à s’identifier à tout.

Cela reste malgré tout important d’être vu. L’invisibilisation n’aide pas à l’intégration sociale.

Qu’est-ce qui explique cette mal représentation ?

Le fait que de manière générale, on ne trouve pas de personnes noires (ou autres) parmi ceux qui prennent des décisions.
Dans le luxe, c’est dur de monter en tant que noir. L’un des rares chefs de maison de couture française à être racisé, c’est Olivier Rousteing qui, a poussé cette représentation de personnes racisées. Avant ça, il y a eu Jean Paul Gauthier, qui avait fait défiler Naomi Campbell et d’autres mannequins noirs. Mais de façon générale, lorsque le noir est associé au luxe, c’est plus dans la couleur utilisée pour le packaging que dans les personnes valorisées.

Et lorsque le produit est universel, on ne nous voit pas forcément, car la représentativité des noirs dépend aussi de celui qui le propose. On n’est pas toujours dans les bons organes de décision.

De 2009 à 2015 environ, j’achetais tous les mois les magazines Glamour et Cosmopolitan. Avant de céder ma collection à des collègues récemment, j’ai parcouru les couvertures de magazines une à une, et parmi les 4 grandes piles de magazines, il n’y en avait qu’un seul avec une noire en couverture, Beyonce, qui en plus avait été retouchée pour paraître encore plus claire.

Pareil pour le secteur des cosmétiques et de la beauté, on n’est pas toujours associés à des canons de beauté. Souvent, on parle de beauté atypique, exotique alors que si on s’adresse à tous, on ne doit pas être dans l’atypique ou l’exotisme.

Un autre exemple : ma cousine, réalisatrice et productrice noire au Canada, lors de son premier plateau, s’étonne que les maquilleuses ne sachent pas mettre en avant les peaux noires. Une actrice noire qui devait jouer une morte a trouvé son maquillage tellement ridicule qu’elle a dû le refaire elle-même. La preuve que ce sont des blancs qui mettent en avant des personnes noires, mais qu’ils ne connaissent pas nos réalités.

On a aussi une mal représentation au niveau des produits. Exemple au niveau cosmétique, si les cosmétiques proposaient des produits pour toutes et tous, il y aurait d’office des produits pour les cheveux crépus et donc des mannequins aux cheveux crépus.

On ne voit pas de produits faits pour nous, de pubs qui sont faites pour nous. C’est comme si on n’existait pas sur le papier et au final, pas dans la réalité. Par exemple, si j’arrive dans un salon Olivier Dachkin, ils ne sauront pas s’occuper de mes cheveux. J’ai un ami qui travaillait pour une chaîne de coiffure, il était incapable s’occuper de mes cheveux parce qu’on ne lui a jamais appris. On ne nous voit pas, c’est comme si on n’existait pas.

Je me suis déjà fait maquiller chez Yves Rocher et les couleurs qu’on m’a mises, c’était une catastrophe. J’ai dû appeler ma mère pour qu’elle vienne me chercher parce que je n’osais pas rentrer en tram comme ça.

Sur ASOS, je voulais commander des vêtements, en cliquant sur certains articles, je vois ‘nude’ comme indication de couleur, mais ça correspond à la couleur nude pour qui ? On n’est pas pris en considération.

Il y a eu le scandale du sparadrap gate car les sparadraps ne correspondent qu’à la peau blanche. Un sparadrap peut passer inaperçu sur une peau blanche, mais sur les noirs ça se voit de loin. Pour beaucoup de gens, c’était un problème périphérique. J’ai rencontré un médecin qui m’expliquait qu’il avait un patient noir qui mettait toujours des longues manches au boulot, même en été, car il devait souvent faire des piqûres et que les sparadraps ne passent pas inaperçus sur sa peau. S’il avait des pansements à sa couleur, ça aurait déjà été une charge mentale et raciale en moins.

 

 

J’ai aussi déjà vu une danseuse de balais acheter du maquillage en plus pour teindre ses bas collants et chaussons. C’est aussi une charge en plus.

 

 

Les shampoings adaptés aux cheveux crépus, je n’en trouve pas en supermarché, je dois aller à la Porte de Namur. C’est une charge en plus parce qu’on n’existe pas.

Normaliser notre présence dans les médias et dans les rayons des magasins, c’est normaliser notre présence dans la réalité.

A-t-on affaire à des stéréotypes ?

Il y a encore de grosses maladresses. Je repense par exemple à Dove qui avait extrait d’une de ces publicités un GIF. On voyait une femme noire devenir blanche en enlevant son t-shirt. Donnant l’impression qu’elle devenait blanche quand elle se lavait et véhiculant ainsi le stéréotype que le noir est sale.

 

 

Autre exemple dans une campagne H&M : un petit garçon noir, pourtant un pull avec l’inscription ’Coolest monkey in de jungle’’. Mauvaise appréciation quand on sait que la plupart des noirs ont déjà été traités de singe… Lorsque des milliers d’euros sont en jeu pour une campagne publicitaire, le droit à l’erreur est très limité.

 

 

De là à dire que les publicités véhicules des stéréotypes, je pense que ça se déconstruit de plus en plus. On voit de plus en plus de couples, de familles, montrés de façon normale. Sans qu’ils ne soient soumis à un stéréotype quelconque.

Comment faire évoluer les choses ?

En étant pleinement acteur des décision prises, en occupant des positions intéressantes. Pouvoir être là pour dire « Ça, ça ne passe pas. Ce n’est pas correct, pas entendable.

En 2019, un dessin animé horrible mettait en scène. Une princesse qui avait pour interdiction de parler à son prince sous peine d’avoir une malédiction. Elle enfreint la règle et le sort s’abat sur elle : elle devient vilaine, avec la peau noire et les cheveux crépus ! S’il y avait une personne noire dans l’équipe, elle aurait dit ‘’faites la verte avec une verrue et pas avec des cheveux crépus.

 

 

Certains parlent d’infiltration, je n’aime pas ce terme. On est tout autant légitimes que d’autres à participer aux décisions.

Le problème se situe aussi beaucoup plus en amont. Il faut voir dans quelle mesure les personnes racisées ont un accès égal aux études, notamment liées à la communication. Parfois, l’écrémage se fait dès les secondaires.Il s’agirait de monter dans les échelons. D’avoir une place stratégique. C’est le cas d’Olivier Routeing, il est arrivé à la tête de la maison Balmain et a commencé à diversifier les visages de la maison.

Qu’est-ce que tu fais pour donner de la visibilité à la communauté noire ?

Le fait que, de manière générale, on ne trouve pas de personnes noires (ou autres) parmi ceux qui prennent des décisions m’interpelle.

L’entrepreneuriat paraît vite élitiste. Certains peuvent se sentir exclus, alors que c’est censé être accessible à tous et permettre de s’émanciper.

Entreprenoires, c’est une plateforme pour celles qu’on ne voit pas dans les réseaux et conférences d’entrepreneurs classiques. La plateforme leur permet d’être vues.

Il y a une expression qui dit « your chair to the table » et quelqu’un qui a dit, je n’ai pas envie de devoir arriver avec ma propre chaise, trouver de la place, mettre ma chaise et expliquer pourquoi je suis là. Je préfère construire ma propre table.

Le but d’Entreprenoires, c’est de s’organiser mais aussi d’arriver en étant une force de proposition. De donner de la visibilité à toutes ces femmes qui ne sont jamais vues. De ne plus pouvoir passer à côté. Que des gens se disent « Ah, mais il y a des gens qui font ça en fait » ! Et ça pourrait permettre aux autres de se rendre compte qu’eux non plus, ne sont pas mixtes.

C’est au mois de juin, à la suite du mouvement Black lives matter, que j’ai créé Entreprenoires> parce que j’avais besoin de vision positive, d’exemples positifs. J’étais fatiguée de voir des gens noirs se faire tuer à même le sol, des vidéos de noirs se faire abattre ou même des personnes racisées ici, dans les quartiers compliqués se faire tuer.

D’autres initiatives que tu veux mettre en avant ?

Le livre Peau noire, médias blancs, de Djia Mambu. L’espace Café Congo, créé par Gia Abrassart, qui met en avant des artistes afro-descendant. Le collectif Mémoire Coloniale qui se penche sur la façon dont les noirs et leur histoire sont représentés dans l’espace public. Notamment via des visites dans plusieurs communes de Bruxelles où ils montrent et expliquent les lieux marquants de l’histoire noire en Belgique. Le collectif Bamko dynamique co-inclusive entre la société belge et ses composantes afrodescendantes.

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